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A
redécouvrir, le plus grand film de Walt Disney : Fantasia
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En 1938, s’apercevant
que son personnage-fétiche, Mickey, perdait du terrain
par rapport à Donald Duck, Walt Disney décide de
frapper un grand coup. Et quel meilleur grand coup qu’un
grand film, un long métrage dont Mickey serait la vedette ?
Ce film, ce sera Fantasia qui sortira en novembre 1940. Son thème
? L’Apprenti sorcier, vieux conte allemand repris par Goethe
dans un poème mais, surtout, magnifiquement orchestré
par Paul Dukas en 1897.
« Mon idée, va expliquer Disney à Léopold
Stokowski, chef de l’orchestre philharmonique de Philadelphie,
c’est de réaliser une œuvre de prestige illustrée
par divers morceaux de musique que nos artistes illustreront.
»
Première
tâche : le choix du programme musical. Et, en compagnie
des artistes du Studio Disney, des centaines d’heures
d’écoute pour arrêter des morceaux qui peuvent
devenir autant de thèmes d’animation. Le film sera
finalement divisé en sept parties. La première
— l’introduction — sera illustrée par
la Toccata en fugue et ré mineur de
Bach. Suivront le Casse-Noisette de Tchaïkowski,
L’Apprenti-sorcier de Dukas, le Sacre du
Printemps de Stravinski, la Symphonie pastorale
de Beethoven, La danse des heures (extraite
de l’opéra de Ponchielli, La Joconde),
enfin une combinaison de la Nuit sur le Mont Chauve
de Moussorgsky et de l’Ave Maria de Schubert.
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On
le constate : à l’exception de Stravinski qui, à
la fin des années 30, est considéré comme un musicien
d’avant-garde, tous les autres morceaux sont d’un classicisme
pur et dur. Dans Notre ami Walt Disney, Christopher Finch écrit
: « On a parfois dit qu’avec Fantasia Disney avait
cherché à séduire les intellectuels, mais cela
ne cadre pas du tout avec la nature de ses objectifs. Il y a tout lieu
de croire qu’il ne perd pas de vue son public habituel, et si
les intellectuels apprécient ce film comme ils ont apprécié
les précédents, ce sera tant mieux, voilà tout.
»
L’histoire de Fantasia est connue. Mickey, jeune magicien,
élève d’un grand sorcier, profite de l’absence
de son maître, s’empare de son chapeau magique et décide
de s’en servir. Au début, tout se passe bien et c’est
un balai qui fait les tâches ménagères auxquelles
Mickey est astreint, courant au puits pour y chercher des seaux d’eau
et remplissant le grand bassin de la caverne.
Rassuré,
Mickey s’endort. Il rêve que ses pouvoirs sont devenus si
grands qu’il peut plier l’univers à sa volonté,
commander aux planètes, aux vents, aux volcans et aux océans.
Quand il s’éveille — éclaboussé par
les vagues de son rêve — c’est le cauchemar : le balai
a charrié des milliers de litres d’eau et la caverne est
inondée. |
Mickey ordonne
au balai de s’arrêter. En vain.
Affolé, le jeune apprenti sorcier attaque le balai à
coups de hache. Avec pour seul effet de le découper en
dizaines d’autres petits balais qui, implacablement, vont
puiser de l’eau pour la déverser dans la caverne.
Mickey va-t-il périr noyé lui qui, en guise de
radeau, n’a trouvé qu’un traité de
magie ? Non, le Maître arrive, constate le désastre,
commande aux eaux de se retirer et tire les oreilles à
son imprudent élève.
A sa sortie,
en 1940, Fantasia, très critiqué, ne fit qu’un
succès d’estime. D’aucuns avancèrent
que c’était une idée absurde que de vouloir
illustrer de la musique. Christopher Finch :
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Objectivement, on doit reconnaître que deux passages de
Fantasia, L’Apprenti-sorcier et le «
Ballet des Animaux » sur la Danse des heures, séduisent
tous les publics. Quant aux autres séquences, chacune a
ses propres mérites, mais elles ne sont pas liées
par cette cohérence esthétique que l’on trouve
dans Blanche-Neige ou dans Pinocchio. On demande
trop d’efforts au spectateur qui doit adapter son goût
à des formes d’expression diverses pour que le film
soit vraiment réussi.
Jugement
sévère dans la mesure où, depuis plus de
60 ans, le succès de Fantasia est allé
croissant. Film ambitieux, jamais égalé, cette œuvre
n’a plus jamais quitté l’affiche et il se trouve
toujours un ou plusieurs endroits dans le monde où on le
projette pour le plus grand plaisir de ceux qui le revoient pour
la énième fois et celui, surtout, de ceux qui le
découvrent. Christopher Finch note :
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Disney a le grand mérite d’avoir osé, et ses
collaborateurs peuvent être fiers d’avoir contribué
à une œuvre parfaitement originale. On a dit de Fantasia
que c’était un film en avance sur son temps. Le succès
qu’il a encore de nos jours en est la preuve.
Ainsi, pendant la réalisation du film, des effets spéciaux
employèrent-ils plus de soixante personnes chargées
d’interpréter — par images abstraites —
la structure de la musique de Bach. La séquence Toccata
et fugue a exigé, en effet, des centaines d’études
(réalisées au pastel, ce qui fait d’étonnants
tableaux) pour illustrer des thèmes musicaux avec des formes
abstraites. |
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Comment
ne pas s’étonner, aussi, de l’illustration très
« modern style » de la Pastorale, même si
les personnages mis en scène par Disney ne correspondent pas
exactement à l’univers beethovenien ?
Car
tout cela est subjectif et je ne puis plus, depuis que j’ai découvert
Fantasia — il y a quelques années de ça,
déjà… — écouter la Pastorale sans voir
les délicats chevaux ailés imaginés par Disney
et son équipe, les centaures et les centaurettes, Bacchus et
sa licorne entre deux vins, Zeus et Vulcain en goguette, Artémis
dans un ciel nocturne…
Mais ce qui m’enchanta moi fut désagréable à
d’autres. A Ernest Lindgreen par exemple qui, dans The Art of
film, écrit :
« (Disney) avait fait jadis de l’art sans y penser, mais
après les compliments qui lui furent prodigués, il se
crut à la fois Michel-Ange, Beethoven, Platon, Darwin et Shakespeare.
On le vit piétiner la musique avec la lourdeur bouffie et suffisante
des hippopotames, qu’il vêtait en danseuses étoiles
pour tourner en dérision un vieux ballet italien de Ponchielli.
L’extrême mauvais goût de Casse-Noisette,
d’après Tchaïkosky, eut parfois l’excuse de
l’ingéniosité. Mais que dire du duel d’un
diable de musée Grévin avec un ange saint-sulpicien dans
un désert de vieux théâtre de féerie, aux
sons altérés d’Une nuit sur le Mont Chauve
de Moussorgsky et de l’Ave Maria de Schubert ? Ou des
prétentions cosmiques du Sacre du Printemps, où
Stravinsky fait danser volcans et dinosaures ? Et surtout d’une
Symphonie pastorale de Beethoven, transformée en un
ballet fleuri de pégases pomponnées et de centauresses
zazous dans un Olympe décoré comme un casino de province
en 1910… Le traitement de la Pastorale par Disney fut
si destructeur que mon sentiment de la musique que, de longtemps, je
craignais de ne pouvoir effacer de mon esprit les images de Disney et
la joie que j’éprouvais [à écouter Beethoven]
fut toujours compromise. »
On s’étonnera de la sévérité d’un
tel jugement. Et plus particulièrement en ce qui concerne le
final de Fantasia qui est, avec les images illustrant la musique
de Dukas, une totale réussite tant sur le plan technique que
psychologique.
Utilisant avec ingéniosité la Nuit sur le Mont Chauve
et l’Ave Maria, Disney a su rendre quasiment charnelle
l’éternelle opposition entre le Bien et le Mal. La musique
spectrale de Moussorgsky, soulignée par une cohorte de sorcières,
de démons incubes et succubes, d’ectoplasmes qui sortent
de leurs tombes pour rejoindre le Diable au sommet d’une montagne
aiguë comme des dents, est magnifiée par des images dont
on ne plus se déprendre.
De la même façon, jamais peut-être, l’Ave
Maria de Schubert, interprété dans une aube brumeuse,
sur des images d’une procession enluminée de cierges et
qui marchent vers une cathédrale gothique, n’aura pris
une telle dimension.
Signalons encore que Stravinsky — même s’il manifesta
par la suite des réserves sur les modifications d’orchestration
apportées à son Sacre du Printemps — était
venu en personne au Studio Disney pour y examiner les dessins préparatoires
de Fantasia.
Fantasia, phénomène sans doute unique dans l’histoire
du cinéma, avait été précédé
par Blanche-Neige (1937) et Pinocchio (1940). Il sera
suivi de Dumbo (1941) et de Bambi (1942). Une inspiration
qui, n’en déplaise aux « Grumpy »
(« Grincheux ») de service, puise beaucoup plus
ses racines — comme ce sera le cas pour Cendrillon, Alice
au Pays des Merveilles, Peter Pan, Rob Roy, La
Belle au Bois-Dormant, Les Robinsons des Mers du Sud,
Les Enfants du Capitaine Grant, Merlin l’Enchanteur,
l’Ile au Trésor, La Rose et l’Epée,
Robin des Bois, Dick Turpin, etc. —
aux sources d l’Europe qu’à celle de la jeune Amérique…
A.S.
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