Notre mémoire : Canada
Louis Riel (1844-1885), un résistan
t franco-indien
face aux Britanniques

Louis Riel est né le 22 octobre 1844 à Saint-Boniface. De Louis Riel père et de Julie Lagimodière. Julie était le septième enfant de Jean-Baptiste Lagimodière, un coureur de bois franco-canadien et de Marie-Anne Gaboury. Tous deux s’étaient fixés en 1806 dans l’Ouest canadien. Louis Riel père était né, lui, à l’Ile-à-la-Crosse en 1817. De Jean-Baptiste Riel, dit « l’Irlande », et de Marguerite Boucher, une métisse franco-indienne épousée en 1798 « à la façon du pays ». Ce qui faisait de Louis Riel fils, celui qui nous intéresse en l’occurrence, un métis franco-indien, ce qu’on appelait à l’époque un « bois-brûlé ».
Après avoir passé son enfance au Québec où ses parents étaient revenus vivre, Louis Riel père s’était établi dans l’Ouest, en 1843. Son mariage, le 21 janvier 1844, avec Julie Lagimodière avait été béni en la cathédrale de Saint-Boniface par Mgr Provencher.

Louis Riel fils va donc passer sa jeunesse à Rivière-Rouge, près de Saint-Boniface, sur la terre de ses grands-parents maternels. A dix ans, il entre à l’école des Frères des Ecoles chrétiennes. En 1858, Mgr Taché l’envoie, avec deux de ses condisciples, Louis Schmidt et Daniel McFougall, poursuivre ses études à Montréal.

Donald Smith & Louis Riel, For Garry, 1870 - Bruce Johnson

Au collège de Montréal, dirigé par les Messieurs de Saint-Sulpice, le petit Louis étudie le latin, le grec, le français, l’anglais, la philosophie et les sciences. Excellent élève – mais bouleversé par la mort de son père en 1864 – Louis quitte le collège en 1865 pour poursuivre ses études chez les Sœurs Grises.
Après ses études, il habite chez sa tante, Lucie Riel, épouse de John Lee, et trouve un emploi de bureau chez l’avocat Rodolphe LaFlamme. A cette époque, il tombe amoureux de Marie-Julie Guernon. Mais le mariage ne se fera pas : la famille Guernon ne veut pas d’une alliance avec un « bois-brûlé ».
Après un voyage à Chicago et à Saint-Paul, Louis Riel revient à Saint-Boniface le 26 juillet 1868. A cette date, le Canada ne compte que les provinces du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse. Les territoires situés à l’ouest de l’Ontario – et allant jusqu’aux montagnes Rocheuses – sont connus sous le nom de Ruppert’s Land.

Ils appartiennent à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Toute-puissante, la Compagnie nomme un gouverneur et un Conseil pour administrer la colonie établie aux fourches de la rivière Rouge et de la rivière Assiniboine. Au cœur de ce dispositif, Fort Garry.
Dire que les rapports entre la Compagnie de la Baie d’Hudson et les Métis sont bons serait très exagéré. En 1850, les Métis étaient parvenus – non sans mal – à entamer le monopole de la Compagnie sur la traite des fourrures. Et ils avaient obtenu, dans la foulée, des droits de propriété et un rôle politique dans l’administration de la colonie.
Le premier heurt d’importance entre la Compagnie et les Métis s’était produit en 1857. Avec l’arrivée de l’expédition d’exploration Dawson et Hind. Dans le même temps, les Etats-Unis revendiquaient l’annexion des territoires appartenant à la Compagnie. Pour y parer la Compagnie accepta de vendre les territoires convoités au Canada.

Cette vente ne faisait pas l’affaire des Métis qui se voyaient mal passer sous la coupe du gouvernement canadien. Avec l’arrivée massive d’Ontariens, anglophones et protestants, au sein de leur communauté franco-indienne très largement francophone et catholique.
Pendant l’été 1869, le gouvernement canadien envoie un certain John Stoughton Dennis arpenter le terrain. Les Métis le reçoivent très mal. D’autant que l’arpentage se fait selon le style ontarien, en carré plutôt qu’en lots longs et minces donnant sur la rivière Rouge, système qu’utilisait depuis toujours la communauté franco-indienne.
Le 11 octobre 1869, seize Métis, dirigés par Louis Riel, proclament que le gouvernement canadien n’a pas le droit d’agir ainsi. Et, pour le prouver, ils arrêtent une équipe d’arpenteurs qui œuvraient sur le terrain d’André Nault, un cousin de Riel.
Courant octobre, William McDougall, nommé gouverneur du Ruppert’s Land, arrive à Rivière-Rouge pour prendre possession – au nom du Canada – des territoires du nord-ouest. Il est accompagné de 300 soldats. Le 16, Louis Riel, élu secrétaire du Comité national des Métis, présidé par John Bruce, envoie une note à McDougal  : « Interdiction de pénétrer dans le pays sans la permission du Comité. »
Convoqué devant le Conseil d’Assiniboine dirigé par le juge Black, Riel expliqua que « l’Ouest devait avoir le droit de négocier son entrée dans le Canada ». Le 30 octobre, McDougall, Cameron et Joseph-Albert Norbert Provencher (neveu de Mgr Provencher) passent outre à l’interdiction de pénétrer dans le pays. Le lendemain, Cameron et Provencher sont interceptés par trente Métis et « raccompagnés » jusqu’à la frontière des Etats-Unis.

Le 2 novembre, McDougall subit le même sort et les Métis occupent Fort-Garry. Une mesure appuyée par la communauté franco-catholique mais contrebattue par les éléments anglo-protestants. Le 23 novembre, Riel propose un « gouvernement provisoire » pour remplacer le Conseil d’Assiniboine. Le 10 décembre, le drapeau du « gouvernement provisoire » flotte sur Fort-Garry. Le 27, Riel est élu président de ce gouvernement.
Le même jour, Donald Smith, représentant de la Compagnie de la Baie d’Hudson, arrive dans la colonie. Pour tenter de calmer le jeu. Riel propose alors la tenue d’une convention de 40 délégués : 20 francophones et 20 anglophones. C’est accepté. Le 10 février, Riel forme un gouvernement représentatif et trois personnes – le juge Black, Alfred Scott, l’abbé Noël Ritchot – sont désignées pour aller présenter la liste des droits au gouvernement canadien.
Le 9 janvier 1870, douze opposants à Riel, emprisonnés à Fort-Garry, s’évadent. Parmi eux, Charles Mair et Thomas Scott. Le 23 janvier, John Schultz s’évade à son tour. Le 12 février, Riel fait libérer tout le monde. Mais, le 28 il fait arrêter le major Charles Boulton et ses hommes venus parader du côté de Fort-Garry. Parmi eux, Thomas Scott.
Jugés, Boulton et Scott seront condamnés à mort. Boulton sera gracié. Mais Scott qui, après une nouvelle tentative d’évasion, fut rejugé par le tribunal présidé par le bras droit de Riel, Ambroise Lépine, fut de nouveau condamné à mort et fusillé le 4 mars.
Malgré cet « incident » grave, le parlement canadien vote le 12 mai la loi de Manitoba rédigée d’après les revendications des Métis. Et Riel fut désigné pour assurer l’ordre et la paix en attendant l’arrivée du premier lieutenant-gouverneur, Adams G. Archibald, et des soldats du colonel Wolseley. Ayant appris que Wolseley a, de fait, mission de l’arrêter et de le juger pour l’exécution de Thomas Scott, Riel, accompagné de Lépine et de William O’Donoghue (un Irlando-Américain), cherche asile aux Etats-Unis, à Saint-Joseph, Dakota du Nord.

Le 17 octobre, il décide, avec un groupe de Métis entrés en résistance, d’envoyer une lettre au président des Etats-Unis, Ulysses S. Grant, pour lui demander d’obtenir de la Couronne britannique l’amnistie des Métis qui s’étaient soulevés.
Leurs têtes mises à prix par le Canada, traqués de toutes parts, Riel et Lépine rentrent cependant à Rivière-Rouge en mai 1872. En octobre 1873 – et cela le protégea un temps – il fut élu au parlement fédéral pour le comté de Provencher, Manitoba. De nouveau menacé, il se réfugie à Montréal puis dans l’Etat de New York. Le 13 février 1874, il est réélu. En 1875, le Premier ministre canadien, Alexander MacKenzie, accorde l’amnistie à Riel (pour les troubles de 1869-1870). A condition qu’il ne revienne pas au Canada avant cinq ans.

Réfugié à New York, chez le père Fabien Barnabé, Riel traversa alors une période où l’on craignit pour sa santé mentale. Son oncle, John Lee, le fait passer discrètement à Montréal où il est interné dans un asile sous le nom de « Louis R. David ». En janvier 1878, Riel, qui va beaucoup mieux, quitte l’asile. En 1879, toujours interdit de séjour au Canada, il se fait chasseur de bisons puis bûcheron au Montana.
C’est au Montana qu’il rencontre et épouse Marguerite Monet, une métisse surnommée « Bellehumeur ». Il en aura deux enfants. En 1882, il devient citoyen des Etats-Unis d’Amérique et occupe un poste de maître d’école.

 
Le 4 juin, sortant de la messe à la mission Saint-Pierre, Montana, Riel reçoit la visite de quatre Métis : Gabriel Dumont, Moïse Ouelette, James Isbister et Michel Dumas. Ils arrivent du nord de la Saskatchewan et ils expliquent :
— On nous menace dans notre langue et notre religion, on nous prend nos terres, il faut que tu nous aides. On t’attend tous !
— Je vais vous aider, dit simplement Riel.
En juillet 1884, il passe la frontière avec femme et enfants et s’installe à Batoche. Le 8, il réunit les Métis, les Indiens et les colons blancs qui, tous, en ont soupé du gouvernement fédéral. Le 16 décembre, une pétition est envoyée à Ottawa. Elle demande les titres aux terres déjà occupées par les colons ; que les districts de Saskatchewan, d’Assibinoine et d’Alberta deviennent des provinces ; que des lois permettent aux Métis et aux Indiens nomades de s’établir ; que les Indiens soient mieux traités.
Le gouvernement fédéral répondra à cette pétition le… 11 février 1885. Pour n’y répondre en rien, en fait. Le 19 mars, Riel établit un gouvernement provisoire. Pierre Parenteau en est le président, Gabriel Dumont l’adjudant-général. Dès lors, il n’y a plus d’autres choix que la lutte armée.
 

Le 26 mars, le major Crozier, 56 policiers, 41 volontaires, se mettent en route pour arrêter Riel. Gabriel Dumont vient à leur rencontre au Lac-aux-Canards. Pour parlementer. Deux cavaliers indiens (des Cris), Falling Sand et Isidore Dumont entrent en contact avec Crozier et son guide, McKay. Ce dernier ayant fait mine de menacer Falling Sand, une bagarre éclate. McKay tire et tue Isidore Dumont. La bataille du Lac-aux-Canards vient de commencer. Moins d’une heure plus tard, Crozier et ses hommes, décimés, repartent en courant… Au bilan : 17 morts, plusieurs blessés.
Encouragés par cette victoire, deux cents Indiens Cris attaquent Battlefort et For-Pitt. Au Lac-la-Grenouille, Esprit Errant et ses guerriers tuent l’agent indien Thomas Quinn. Le gouvernement fédéral mobilise alors 5 000 hommes sous le commandement du général Middleton. Avec l’ordre de prendre Batoche où Gabriel Dumont est retranché avec 350 Métis. Cinq mille soldats professionnels contre quelques centaines d’hommes habitués à faire la guerre « à l’indienne »…
Après avoir bien résisté à l’Anse-aux-Poissons, les Métis, retranchés dans Batoche, seront vaincus le 12 mai. Riel sera capturé. Dumont réussira à fuir aux Etats-Unis avec Michel Dumas. Leurs alliés indiens, Faiseur d’Enclos et Gros Ours continuèrent de se battre. Faiseur d’Enclos fut capturé le 23 mai. Gros Ours, le 2 juillet.
Le 6 juillet 1885, Riel est accusé de « haute trahison ». Le procès – avec un jury entièrement anglo-protestant – commence le 20 juillet. Ayant plaidé non-coupable, Riel termina sur les sacrifices qu’il avait faits et réclama justice. Le 1er août, Riel fut condamné à être pendu. Il y eut une série d’appels. Ils confirmèrent la première sentence.
Dans la nuit du 14 au 15 novembre, Riel le « bois-brûlé » reçut les derniers sacrements. Il monta sur l’échafaud, tête haute, le 16 à 8 heures du matin. Le 19, un service fut chanté pour le repos de son âme en l’église Saint-Mary à Regina. Le 12 décembre, une messe de requiem fut chantée en la cathédrale de Saint-Boniface. Son corps fut inhumé dans le cimetière de la cathédrale.
Aujourd’hui, le Québec célèbre en Louis Riel le fondateur du Manitoba et le défenseur des Métis et des Canadiens français.

Alain Sanders

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