Les 400 ans de l'Acadie.

Un livre pour le dire : Evangéline

 

Le long poème de l’Américain Henry Wadsworth Longfellow, Evangeline : un conte d’Acadie, aura été l’un des très importants éléments de l’éveil – du réveil même – du peuple acadien. Préfacières d’une réédition de ce livre en 2003, Sally Ross et Barbara LeBlanc écrivent :

— Non seulement les Acadiens et les Acadiennes se sont reconnus dans Evangeline, mais ils ont vu leur propre histoire acquérir une notoriété prestigieuse grâce au succès international d’une œuvre de fiction. En sortant l’Acadie de l’oubli, Longfellow a rendu hommage au courage et à la ténacité du peuple acadien.

Né le 27 février 1807 à Portland, Maine, Longfellow fera ses études dans un établissement situé à une trentaine de kilomètres de cette ville, le collège Bourdouin. Diplôme en poche, il passe trois ans en Europe. A son retour, en 1829, il enseigne la littérature. En 1836, après un nouveau voyage en Europe, il prend un poste de professeur de langues modernes à l’université Harvard à Cambridge. Il en démissionnera en 1847, plusieurs années après la publication d’Evangeline, pour se consacrer à l’écriture. Il est mort le 24 mars 1882.


Fondée en 1604, la colonie d’Acadie couvre un vaste territoire entre la Nouvelle France (Québec) et la Nouvelle Angleterre. Elle est conquise par les Anglais en 1710. En 1713, le traité d’Utrecht cède cette terre profondément française aux Anglais. Ces derniers rebaptisent l’Acadie « Nova Scotia » et oppriment ces catholiques francophones en qui ils voient d’irréductibles ennemis.

Sommés de prêter serment à la couronne britannique, les Acadiens refusent. Les Britanniques les convainquent alors de signer ce serment en leur promettant qu’ils n’auraient pas à prendre les armes contre les Français ou les alliés des Français, les Indiens micmacs. Les Acadiens deviennent de ce fait des « sujets neutres » : des Neutral French. Et les choses courent ainsi, sans trop de problèmes, jusqu’en 1740.

En 1744, nouvelle guerre franco-anglaise. Et début de nouvelles tracasseries pour les Acadiens. En 1754, Charles Lawrence, lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, et William Shirley, gouverneur du Massachusetts, remettent en cause la neutralité des Acadiens. Dans la région de Grand-Pré, on leur confisque leurs armes et leurs bateaux. En 1755, Charles Lawrence convoque des délégués acadiens à Halifax pour leur commander de signer le serment – inconditionnel – à la couronne britannique. Ils sont emprisonnés sur l’île George et, le 28 juillet, décision est prise de déporter les « habitants français » de Nova Scotia.

Cette déportation – que les Acadiens appellent le « Grand Dérangement » – se fera dans des conditions tragiques. Ceux qui ne périssent pas sur les navires de transport sont dispersés dans les colonies anglaises du Massachusetts à la Géorgie. D’autres seront ramenés en France. Plus tard, nombre d’Acadiens échapperont à leurs gardiens pour venir par petits groupes s’installer en Louisiane qui offre cet avantage de n’être pas une colonie britannique.

Quand Longfellow écrit Evangeline, il dispose de deux livres qui parlent de la déportation des Acadiens. Celui de l’abbé Guillaume Raynal, publié en 1770 : L’Histoire philosophique et politique du commerce et des établissements des Européens dans les deux Indes ; et celui de Thomas Chandler Haliburton publié en 1829 : History of Nova Scotia. Mais il tient de deux de ses amis, Nathaniel Hawthorne et Horace Lorenzo Conolly (un prêtre anglican), l’histoire de deux jeunes mariés séparés par les Anglais. Des années durant, l’épouse recherche son mari aux quatre coins de l’Amérique et finit par le retrouver sur son lit de mort. « Après avoir écouté l’histoire, notent Sally Ross et Barbara LeBlanc, Longfellow remarque que «c’est le plus bel exemple de courage et de fidélité d’une femme» qu’il ait jamais entendu. En 1845, il commence à rédiger sa version poétique du récit. Deux ans plus tard, son œuvre est publiée. »

...

Une première version en français, adaptée par Pamphile LeMay, paraît en 1865. En 1867, l’histoire est publiée en feuilleton dans le journal Le Moniteur acadien. Puis en 1887 dans le journal L’Evangeline. A partir de 1887, de longs extraits du poème se retrouvent dans Le Troisième livre de lecture en usage dans les écoles acadiennes.

Les deux héros, Gabriel Lajeunesse et Evangeline Bellefontaine grandissent ensemble à Grand-Pré. Leurs épousailles, sous le regard protecteur des pères Benoît et Basile et du notaire René LeBlanc se déroulent dans la joie. Mais, au lendemain de la fête, c’est le début du « Grand Dérangement », l’incendie de Grand-Pré, des brutalités sans fin. Séparés, Gabriel et Evangeline cèdent au désespoir.

Commence alors pour Evangeline une longue quête de l’être aimé. Plusieurs fois, elle croise des Acadiens qui lui disent avoir rencontré Gabriel. Et il s’en faut de très peu qu’elle ne le retrouve dans les bayous de Louisiane, du côté de Saint-Martinville…

Usée, fatiguée, vieillie, Evangeline finit par s’installer à Philadelphie où elle se consacre, en sœur de la Merci, aux déshérités. Un jour, alors qu’une grave épidémie de variole frappe la ville, un malade entre à l’hôpital. C’est Gabriel. Qui meurt dans ses bras. Quelques jours plus tard, Evangeline meurt à son tour.

« C’est l’antique forêt… Noyés dans la pénombre,
« Vieux et moussus, drapés dans leur feuillage sombre
« Les pins au long murmure et les cyprès altiers
« Se balancent encore sur les fauves sentiers,
« Mais loin, bien loin de leurs discrets ombrages
« Les fiancés constants, sur d’étrangères plages
« Dorment l’un près de l’autre, à jamais réunis…
« La paix est éternelle où les maux sont finis. »


« Le personnage d’Evangeline, écrivent encore Sally Ross et Barbara LeBlanc, symbolise la fidélité, le courage, la patience et la piété, qualités que les nationalistes acadiens de la fin du XIXe siècle valorisaient dans leur effort d’unir le peuple acadien dispersé aux quatre coins des Provinces Maritimes. Evangeline devient une source d’inspiration et un point de ralliement qui renforcent le sentiment d’appartenance à un peuple. Il n’y a aucun doute qu’Evangeline, cette courageuse jeune épousée de Grand-Pré immortalisée par Longfellow, a saisi l’imagination de plusieurs générations d’Acadiens et d’Acadiennes.

D’Acadiens et d’Acadiennes d’Acadie du Nord mais aussi d’Acadie du Sud – les Cajuns – déformation du mot acadien – de Louisiane. Ainsi, en 1930, le sénateur louisianais Dudley LeBlanc conduisit-il une délégation de jeunes filles cajuns au Québec, au Nouveau Brunswick et en Nouvelle-Ecosse.

Le succès du conte de Longfellow fut tel que dans les années 1870, après la construction du chemin-de fer vers la Nouvelle-Ecosse, des milliers de touristes américains vinrent sur les traces d’Evangeline. En 1907, John Frederick Herbin, fils d’une Acadienne bon teint, Marie Robichaud, aménagea à Grand-Pré un parc à la mémoire des Acadiens. En 1917, le Dominion Atlantic Ralway, à qui Herbin avait vendu le terrain, faisait construire par les sculpteurs québécois Philippe et Henri Hébert, une statue représentant Evangeline.

En Louisiane, à Saint-Martinville, sur le Bayou Teche, cœur de l’Acadian, on peut voir le « chêne d’Evangeline » qui symbolise l’endroit où les Acadiens terminèrent leur long voyage et marque, dit-on, l’endroit où Evangeline est enterrée. A deux pas de l’église Saint-Martin-de-Tours, la plus ancienne église du sud-ouest louisianais. J’y suis allé, une fin d’après-midi où la petite ville était noyée sous une pluie tropicale. Je me suis assis quand même sous l’arbre d’Evangeline et, croyez-le si vous voulez, je l’ai entendue me dire :


« C’est l’antique forêt… Quand l’étoile s’allume,
« Dans les veilles d’hiver, près de l’âtre où l’on fume,
« Les paysans dévots parlent, les yeux en pleurs,
« De leur Evangeline et de ses longs malheurs…
« On entend en dehors des clameurs. C’est, tout proche,
« L’océan qui gémit dans ses antres de roche,
« Et la forêt répond par de profonds sanglots
« Au long gémissement qui monte de ses flots. »

 
 

A noter qu’en Louisiane, une autre histoire s’est superposée à celle d’Evangeline. Dans cette histoire, Evangeline Bellefontaine est devenue Emmeline Labiche et Gabriel Lajeunesse, Louis Arcenaux. Le fond du récit reste identique à celui de Longfellow mais se termine différemment.

Emmeline termine sa quête sous le vieux chêne – « The Evangeline Oak »… – de Saint-Martinville où elle retrouve enfin Louis. Qui lui avoue que, ayant perdu espoir de la revoir jamais, il s’est remarié. Le choc est tel que la pauvre Emmeline devient folle…

Ville de 7 000 habitants, Saint-Martinville fut fondée en 1730 par les Français sur un territoire alors occupé par les Atakapas, farouches ennemis des Chitimachas. Une alliance entre les Français et les Chitimachas eut bientôt raison des Atakapas. Au cours des années, ce comptoir commercial, alors appelé « Poste des Atakapas », connut des vagues d’immigrants irlandais, écossais, allemands, italiens, créoles qui, tous, adoptèrent la langue française.
L’arrivée de nombreux royalistes ayant fui la Révolution française valut à Saint-Martinville le surnom de « Petit Paris de la Louisiane ». On y construisit un théâtre où l’on fit jouer – preuve que ces émigrés n’avaient pas tout compris… – Le Barbier de Séville.

Outre le chêne d’Evangeline, Saint-Martinville a un Acadien Memorial dédié aux 3 000 Acadiens venus s’établir en Louisiane à partir de 1760. Au centre du jardin de ce mémorial, une flamme éternelle brûle pour perpétuer le souvenir de ces exilés. Autres points d’intérêt, la Longfellow Evangeline State Commemorative Area où est retracée l’histoire des familles francophones installées sur le Bayou Feche, et le Petit Paris Museum où l’on évoque notamment Charles Durand, riche planteur qui, avant la Guerre de Sécession, fit planter une allée de chênes et de pins sur près de cinq kilomètres !

Arrivé en Louisiane en 1820, marié, père de douze enfants, Charles Durand jura, à la mort de sa femme, qu’il ne se remarierait jamais. Abîmé dans la douleur, il se rendit tous les jours sur la tombe de la disparue. Il fit même réaliser une statue de lui, agenouillé auprès de la tombe, avec une inscription rappelant son serment de ne jamais prendre une autre femme.



 


Un an plus tard, il tombait amoureux et se remariait… Des jeunes inscrivirent alors sur la statue, à côté du serment un peu aventuré : « Ne mentez pas pareillement. » Charles Durand, décidément très actif à défaut d’être constant, eut douze autres enfants de sa nouvelle épousée.

Personnage extravagant, il voulut, pour le mariage de deux de ses filles, trouver quelque chose d’original. Il fit donc lâcher, dans son immense allée de cinq kilomètres, d’énormes araignées qui recouvrirent pins et chênes de leurs toiles. Au matin du mariage, il rassembla ses esclaves et leur distribua de la poudre d’or et d’argent à pulvériser sur les toiles d’araignée. Le jour de la fête et le soleil aidant, le spectacle était superbe. On en parle encore dans la région de Saint-Martinville.

Quelques mois avant de mourir, Charles Durand évoqua un « trésor » qu’il avait caché dans la fameuse « Durand Oak-Pine Alley ». Sans vouloir en dire plus. A sa mort, ses enfants creusèrent, des mois et des mois, entre les arbres. En vain.

Aujourd’hui, il ne reste plus de la luxueuse demeure de Durand qu’une grange, quelques baraques et l’allée… Et, qui sait, le mystérieux trésor. La prochaine fois, c’est sûr, je reviens avec une pelle…

Alain Sanders

 

Centre d'information touristique de St-Martinville : P.O. Box 379, St-Martinville, Louisiana 70582. Tél. : (337) 394-2233 ou (337) 394-2232. Mail : Audrey_smtourism@hotmail.com

• Nimbus Publishing Limited, CP 9166, Halifax, B3K 5M8. Tél. : (902) 455-4286. Site : www.nimbus.ns.ca


Bleu, blanc, rouge et l’étoile de la
Sainte Vierge
La belle histoire
du
drapeau acadien
Le drapeau acadien : bleu, blanc, rouge avec – dans le bleu – une étoile jaune aux couleurs pontificales en hommage à Pie IX, une étoile qui est celle de l’Assomption. Pour illustrer l’esprit même de ce drapeau, nous reproduisons ci-après un poème intitulé : Le Tricolore étoilé. Il est conçu comme une sorte de dialogue entre un Français et un Acadien.
Le Français
Si le drapeau d’un peuple est son vivant symbole,
Et s’il doit retracer son histoire et ses mœurs,
Sur ton drapeau qui flotte à toute brise folle,
Dis-moi, peuple acadien, pourquoi les trois couleurs ?


L’Acadien
Quoi, ne sommes-nous pas les fils de cette France,
La grande nation d’où viennent nos aïeux ?
C’est pour en conserver la douce souvenance
Que nous avons choisi ce drapeau glorieux.


Le Français
Toi qui, paisiblement, végète solitaire,
Peuple à peine formé, petit peuple naissant,
Aurais-tu le dessein d’ensanglanter la Terre,
Pourquoi ton étendard porte rouge de sang ?


L’Acadien
Nous avons pris le rouge, emblème de souffrance,
Car nous avons connu plus d’un malheureux jour.
Et puis, c’est la couleur du drapeau de la France,
Le pays généreux où fleurit tant d’amour.


Le Français
Je sais qu’un rude hiver, Acadiens, vous assiège,
Et pendant de longs mois vous tient ensevelis.
Pour que votre étendard soit blanc comme la neige,
Aimez-vous à ce point le linceul aux grands plis ?


L’Acadien
La blancheur nous convient, symbole d’innocence,
L’Histoire rend hommage à notre loyauté ;
Et puis, c’est la couleur du drapeau de la France,
Le pays où germa toujours la sainteté.
 

Le Français
Vous possédez des lacs où vos grands bois se mirent,
Et vous avez aussi des golfes aux flots bleus ;
Ces merveilles, pourtant, peu d’hommes les admirent,
Pourquoi votre étendard a-t-il l’azur des cieux ?


L’Acadien
Si nous aimons le bleu, symbole d’espérance,
C’est que vers l’avenir nous marchons pleins d’espoir ;
Et puis, c’est la couleur du drapeau de la France,
Le pays où jamais ne tombera le soir.


Le Français
C’est vrai, peuple acadien, le drapeau tricolore,
Nous parlant du passé, présage le futur ;
Mais je ne comprends pas cet autre signe encore,
Pourquoi l’étoile d’or qui brille sur l’azur ?


L’Acadien
Oui, nous avons, sur le drapeau de la patrie,
Au lieu du lys des rois, mis l’astre radieux ;
C’est pour nous rappeler notre Reine Marie,
L’étoile de la mer qui nous conduit aux cieux.


Le Français
Je demeurai pensif, moi, Français de la France,
Puis je sentis mon cœur, tout à coup, s’attendrir,
Et m’écriai : « J’en ai maintenant l’assurance,
Que le peuple acadien n’est pas près de mourir ! »

     
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