Le "Queen's", salle de danse et de réceptions
:
on apeine à se croire sur un navire
Initiation à la line dance, au "Queen's"
|
|
Et
puisque l’univers « country » montre le bout
de son mat, sur ce grand horizon liquide que l’on peut,
si l’on est poète, qualifier de « prairie »,
sur laquelle évoluent d’ailleurs nombre de «
moutons », à défaut de bovins – en Algérie,
lorsque la mer commençait à s’ourler de vagues
frangées d’écume, on disait : « Tiens,
il va faire mauvais : il y a des moutons ! » –, contons
la merveilleuse surprise, après un jour de traversée,
d’entendre dans un coin abrité du pont-promenade,
sous les embarcations, un guitariste, sans doute un des nombreux
artistes effectuant la traversée pour assurer les spectacles
quotidiens, jouer et chanter Your Cheatin’ Heart…
aussitôt repris en chœur – l’occasion était
trop belle ! Duo qui fut suivi d’un tonique Rodeo Blues,
et de l’inévitable Country Roads, bien sûr
!
Le
lendemain, dimanche, en début d’après-midi,
les séances quotidiennes d’initiations à la
danse (il y en avait pour tous les goûts), qui se déroulaient
dans la somptueuse et immense salle de bal du navire, affichaient,
après les danses de salon (ce jour-là: tango et
rumba) : line dance. Ah ! Ah ! Aurait-on droit à
un quelconque « madison » ? Eh bien, ce fut
100% country ! On commença avec Achy Breaky
Heart, suivie par Dumas Walker (Cow-Boy rythm),
et par l’inusable Cotton Eyed Joe. Avec des chorégraphies
en line aussi simples qu’attractives, qui firent la joie
de tous, notamment des nombreux « seniors », clientèle
dominante, cela n’est pas une surprise. J’ai pris
des notes, au cas où….Par contre, deux jours après,
sous le même intitulé de line dance, ce
fut 100%... disco ! Mais, j’aurais mauvaise grâce
de critiquer, car je serais de mauvaise foi : j’ai sacrifié
allègrement à la gestuelle à la gloire de
John Tavolta et autres, « aidé » d’ailleurs
en cela, comme tous les autres danseurs, par les mouvements du
« QM2 », qui avait ce jour-là décidé
de se mêler à la fête… |
|
A quoi rêvent
les passagers, lorsqu’ils ne sont pas attablés
– le restaurant « Britannia », à 2
niveaux principaux, est une réussite d’esprit «
Arts-déco », au bout d’une vaste enfilade
de vestibules partant d’un hall circulaire s’élevant
du pont 2 au pont 7, mais il n’est pas le seul. Au pont
7, une cafétéria fonctionnant du petit jour jusqu’au
soir, est un véritable piège à gourmandises,
et les passagers des suites de luxe ont leur propre restaurant
discret, s’ils ne dînent pas dans leurs appartements
– ou qu’ils ne jouent pas au Casino, ne fréquentent
pas les bars sélects et les boutiques de luxe. A quoi
s’activent ceux qui ont fini de lire ou d’utiliser
leur messagerie de bord ? Entre toutes ces ressources, ils ont
celle de prendre le soin de leur physique, soit dans les locaux
spécialisés (institut de beauté, thalasso,
salle de musculation..), soit d’arpenter les ponts du
paquebot. A cet égard, le lieu où tout le monde
se croise, marchant, courant, accoudé au bastingage,
étendu dans un de ces chaises longues qui font partie
intégrante de l’imaginaire « transatlantique
», c’est le fameux deck seven, le pont
7, celui au-dessus duquel se trouvent les embarcations de sauvetage,
au demeurant d’imposants canots à double hélice.
Ce pont, qui donne sur la grande plage arrière, et dont
un passage sous la passerelle de commandement permet de relier
bâbord à tribord, mesure près de 600 mètres
de tour : d’ailleurs, une plaque indique que 3 tours de
ce pont correspondent à 1,1 mile (anglais, pas un mile
marin). Ce pont, côté bâbord surtout, aura
été un lieu privilégié de rencontres,
de détente, et de flânerie transatlantique, dans
laquelle chacun aura pu se plonger, imitant en cela les personnages
mythiques d’une époque qui ne l’était
pas moins, figurant à bord en affiches géantes,
et qui ont nom Gary Grant, Rita Hayworth, Clark Gable, Elisabeth
Taylor, et bien d’autres…. Pourquoi « bâbord
» ? Parce que, faisant route d’Est en Ouest, nous
avions le flanc gauche du navire (bâbord) exposé
au Sud, et donc bénéficiant du soleil. Il arrivait
qu’il n’y en eût point : ciel couvert, pluie,
et même brouillard (ah, le son lancinant et vaguement
sinistre de la corne de brume, à intervalles réguliers
! Cela me rappela des souvenirs d’enfance…). En
général, toutefois, le ciel était dégagé,
ciel et mer changeant d’ailleurs avec une surprenante
rapidité, et ce, plusieurs fois par jour…. Cela
était déjà en soi un spectacle total. Il
manquait à ce tableau changeant son complément
nocturne. Ce fut chose faite le mardi matin à 06 heures,
à 48 heures de mer du but : je montai sur le pont, côté
tribord cette fois, pour être face au Nord. La nuit était
encore totale, et la lune faisait miroiter l’océan.
Romantisme ! Nous nous trouvions alors (notre position était
indiquée en permanence sur nos téléviseurs,
avec l’indication de notre vitesse, sur fond de carte
marine) par 42° 24’ Nord et 49° 08’ Ouest.
Dans la nuit du 13 au 14 avril 1912, vers minuit, le Titanic
se trouvait par 41° 44’ N et 49°57’ W. (On
sait qu’il avait indiqué une position différente,
un peu plus au Sud et à l’Ouest, à 13,5
milles marins de sa position réelle). A l’échelon
de l’océan, on peut dire que nous étions
dans les parages du sinistre. Je songeais à cette phrase,
surgie de mes souvenirs de lycéen : « La lune prêtait
son pâle flambeau à cette veillée funèbre
», sur fond de mélopée celtique, pour «
faire Camerone ». Mais, sur ce pont 7, nous n’étions
pas légion. J’étais même seul. Avec
2 matelots en ciré qui lavaient le pont à grande
eau.
|
|
La tradition
Le Poème de la Mer
Autant en emporte l'Océan...
L'espace des Stars
|
Un "redneck" sur l'Atlantique
Le Queen
Mary 2 à son poste de New York
|
|
Cette
journée du mardi, je jouai d’ailleurs Vu du
pont. Sans pour autant me prendre pour Raf Vallone. «
Pont romantique » donc, en fin de nuit. « Pont sportif
», durant la matinée, avec force tours à
marche cadencée. « Pont hédoniste »
juste avant le déjeuner, confortablement installé
dans un « transat ». Mais, « Pont mystique
», au moment de la chute du jour, soleil englouti par
de gros nuages dévoreurs de lumière, faisant fraîchir
le vent sur une mer d’ardoise qui chantait la solitude,
contemplée depuis l’accès à la plage
avant, endroit déserté à l’heure
où les bars faisaient le plein. Au tout début
de l’après-midi, une précieuse paire de
lunettes avait mystérieusement disparu de mon anorak.
Et je jurerais ne pas l’avoir laissée tomber par-dessus
bord (sujet au vertige, je ne me suis jamais penché au-dessus
de ces abysses…). Et ce navire de tous les superlatifs
n’était pas censé abriter de vilains larrons.
Alors, Ii ne me restait plus qu’à méditer
sur la fragilité des bonheurs sans nuage, face à
un soleil privé de son incandescence par des nuées
crépusculaires…
D’ailleurs, un autre pont commençait à occuper
les esprits, celui sous lequel nous passerions avant la fin
de la nuit qui suivrait le mercredi. Exploit technique, frissons
d’attraction de cirque : le haut de notre mat, et celui
de notre cheminée, allaient frôler le tablier du
pont qui marquait la présence de la terre: le pont de
Verrazzano. Evènement vécu depuis le haut du chapiteau,
pardon depuis le plus haut niveau de pont, au-dessus de la passerelle
du commandant, illuminé par les projecteurs. Et l’océan,
plongé dans le noir, 72 mètres plus bas. Applaudissements,
exclamations, cris. Instant fort. Un franchissement de ligne
chargé de symbole. Nous avions traversé l’Atlantique,
et pouvions nous écrier : « Amérique, nous
voici ! ». La nuit était encore d’encre,
mais c’était pour nous la promesse de l’aube
: au bout, là-bas, scintillante de mille feux, se trouvait
New York.
|
On avait quitté
Southampton le vendredi à la fin d’une journée de
crachin, ville dans laquelle je n’avais pas retrouvé mes
rêves d’épopée maritime, et on était
parti vers cet Ouest, mythique, qui était géographiquement
un Sud-Ouest – je le constaterais avec force en étudiant
chaque jour notre route sur la carte – restant relativement longtemps
dans les eaux d’Europe, passant très au large du Finistère
espagnol, puis en mettant le cap vers le nord – très au
nord quand même – des Açores…C’est là
qu’on se rend compte combien nos planisphères sont trompeuses…
et on allait aborder cette Amérique qui, là-bas, juste
avant le lever du jour, barrait l’horizon. On avait au passage
retenu le soleil chaque jour une heure de plus, par un décalage
horaire en douceur, mais plus encore en harmonie avec la course de l’astre,
comme si chaque journée comptait 25 heures à notre montre.
Nous ne brutalisions pas la nature, comme avec l’avion, mais nous
marchions avec le soleil. Je me sentais déjà un peu amérindien.
Nous
avons laissé sur notre gauche la Dame verte et son flambeau illuminé
par un groupe de projecteurs, et j’ai deviné sur notre
droite le minuscule et emblématique fortin, appelé «
Old Battery », qui marque l’entrée du Nouveau Monde.
La hauteur du Queen Mary et l’absence des Twin Towers
modifiaient considérablement le rapport entre les masses du navire
et de la ville. Pour notre « QM2 », Manhattan se faisait
presque petite. De jour, cela aurait fait drôle. A 6 heures du
matin, en ce mois d’octobre, de nuit Manhattan nous la joua fantasmagorique,
tuyaux d’orgues de basalte troués de mille étincelles
étoilées, surgissant bloc par bloc, d’un double
tapis de lumières, les unes dorées, les autres rouges.
En les voyant, on comprenait de suite que les New-Yorkais se rendaient
tôt, très tôt, à leur travail, et que leurs
rues étaient toutes, ou presque, en sens unique.
Il
a fallu laisser le navire, posant sa masse majestueuse le long du pier
92. En sortant du terminal, pratiquement le nez sous l’étrave,
après les photos qui s’imposaient, je n’ai pu m’empêcher
de me rendre au pier 88, proche du 92 (ils ont juste entre
eux le pier 90), et là je me suis transporté
par la pensée vers ce jour funeste du 9 février 1942,
quand, à 3 heures de l’après-midi, notre Normandie
prit feu, et chavira sur le flanc bâbord dans la soirée.
Ce fut le plus grand désastre qui frappa notre marine marchande
au siècle dernier. Et un de mes premiers chagrins.
Après
? Après, ce fut New York. 48 heures d’escale avant un retour
nocturne vers la France. A bord, parmi les 72 Français dilués
au milieu des quelques 2200 passagers, j’ai trouvé plus
« fou de paquebot » que moi : un homme jeune qui, dans un
échange d’idées sur le programme de l’escale
new-yorkaise, me répondit : « Le musée maritime
et Ground Zéro ».
« Et puis ? », ai-je demandé naïvement. Et lui,
lapidaire : « Et puis, je remonte à bord ».Il reprenait
le Queen Mary2 le soir même, pour une traversée
« aller-retour » quasiment non stop » … J’ai
pensé à cet « homme de mer » vers 18h, lorsque
j’ai vu manœuvrer le grand navire depuis la terrasse de l’Empire
State Building, et glisser majestueusement le long de l’Hudson,
que la lumière du couchant avait teinté de rose. Mais,
lorsque le « QM2 » s’est éloigné, j’ai
tourné mon regard vers l’horizon Sud-Ouest, par delà
même les rivages du New Jersey, porté sur les ailes de
mon rêve : là-bas, très loin derrière l’horizon,
mais pas si loin pour moi, ma pensée me portait vers la Virginie.
Après tout, je n’en avais jamais été aussi
près. Ici, j’y pense souvent, mais le décalage horaire
est encore plus redoutable que la distance kilométrique. A New
York, du haut de ce gratte-ciel historique, je pouvais me dire que le
soleil se couchait au même moment, dans la même explosion
de couleurs, embrasant les forêts, faisant flamboyer les cours
d’eau et peignant d’or la statue du général
Lee. C’était cela aussi, le but secret de mon voyage :
avancer avec le soleil, chaque jour un peu plus, au ras des flots, vers
cette île gigantesque et mythique, en m’y préparant
au cours d’une aventure intérieure, de bâbord à
tribord du grand navire, qui, en ayant mis le cap sur cet horizon, n’était
plus un moyen de transport mais était devenu un personnage de
ma quête.
Pierre
Dimech
(1)
Ce texte est la relation d’impressions instantanées, de
notes d’humeur. Pas un journal de bord. Encore moins un récit
à vocation publicitaire. La Cunard édite d’ailleurs
de somptueux catalogues à cette fin. (NDA).
|