A
lorigine, deux hommes : Antoine Omer Talon et Louis de Noailles.
Qui se trouvaient à Philadelphie. Avec quelques dizaines
dautres Français ayant fui la Terreur.
Noailles nest pas un inconnu. Beau-frère de Lafayette,
il avait participé, avec ce dernier, à la guerre
des Insurgents. Et il était rentré en France, la
tête farcie didées maçonniques. Elu
à lAssemblée nationale révolutionnaire,
Noailles va cependant vite comprendre que sa tête farcie
didées généreuses risquait à
tout moment de se transformer en tête décapitée.
Prudemment, il choisit alors de passer en Angleterre et, de là,
en Amérique.
Dextraction un peu moins noble que Noailles mais
de convictions contre-révolutionnaires nettement plus ancrées
Antoine Talon sétait fait élire à
lAssemblée nationale pour y défendre Louis
XVI et les principes monarchiques. Menacé dêtre
arrêté, il réussira à fausser compagnie
aux argousins. Clandestin à Marseille, il va y faire la
connaissance dun jeune Français, Bartholomé
Laporte.
Bartholomé Laporte, marchand de vin aisé installé
à Cadix, en Espagne, avait été contraint
de quitter cette ville après que les Espagnols eurent décidé
de chasser ces Français révolutionnaires de leur
territoire.
Voilà donc Laporte, qui na plus un sou, et Talon,
qui est clandestin, à quai. A Marseille. La providence
fera quils y rencontreront un marchand anglais et que ce
dernier acceptera Talon caché dans un foudre de
vin de les faire passer en Angleterre. DAngleterre
à Philadelphie, il ny a quun pas. Nous le franchissons.
Et nous retrouvons Noailles.
Pour accueillir les proscrits qui nont, la plupart
du temps, pu sauver que leur peau Talon et Noailles décident
dacheter une grande bâtisse. Elle est vite pleine
à craquer. Décision est prise, alors, dacheter
des terres où la colonie française pourrait sinstaller
et démarrer une nouvelle vie.
Deux hommes furent chargés de soccuper de lachat
de " terres sauvages " : Adam Hoops et Charles Boulogne.
Hoops était un ancien officier qui avait participé
en 1779 à lexpédition du général
Sullivan sur la Susquehanna. Boulogne était un avocat français
qui, depuis des années, soccupait de ses compatriotes
dans le malheur.
Bientôt, lendroit idéal fut trouvé :
dans une boucle de la Susquehanna, 24.000 acres de bonnes terres
furent rachetées aux Etats du Connecticut et de Pennsylvanie.
Et lon commença à bâtir une ville baptisée
" Azilum " : lAsile.
Dans lété 1793, des ouvriers venus de Wilkes-Barre
(au sud-est de Towanda) commencèrent de construire des
maisons de bois. Les travaux défrichage, achat des
matériaux, creusement des puits sont supervisés
par Talon (Noailles ne viendra quune seule fois à
French Azilum, en novembre 1793), Aristide Dupetit-Thouars et
un ancien officier de Louis XVI, le capitaine de Montullé. |
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A
lété 1794, une cinquantaine de maisons étaient
prêtes. Des bâtisses de bonne qualité, à
deux étages, harmonieusement décorées et
agrémentées, pour certaines, de jardins dété
qui apparurent aux rudes pionniers yankees de la région
comme le comble de lextravagance.
Parmi ces maisons de bois, une dentre elles se détache
nettement. Construite pour Talon, on lappelle " La
Grande Maison ". Mais aussi : " La Maison de la Reine
". Pour les exilés, aucun doute : un complot royaliste
doit réussir à arracher Marie-Antoinette et ses
enfants à ses bourreaux et cest là, dans
sa Maison de French Azilum, que la Reine trouvera le plus sûr
refuge.
Comme les exilés français nétaient
pas certains que les Américains verraient dun bon
il linstallation de la famille royale chez eux,
ils construisirent un second refuge, caché dans la forêt,
à dix kilomètres de French Azilum.
La construction de cette cache avait été confiée
à Charles Homet. Ancien de la Maison du Roi, Homet sétait
échappé de France dans des conditions très
difficiles après avoir croisé le fer avec ses
poursuivants et essuyé une mitraille nourrie.
Sur le bateau qui lemmenait vers la liberté, Charles
Homet avait fait la connaissance de Thérèse Schillinger,
elle-même attachée jadis à la Maison royale.
Mariés à bord, les Homet avaient commencé
de vivre deux années en pleine forêt. Cest
la raison pour laquelle on leur confia le soin de préparer,
dans ces sauvageries boisées, quils connaissaient
par cur, un second recueil. Après lannonce
de lexécution de Marie-Antoinette, les Homet sinstallèrent
à French Azilum.
Parmi les visiteurs célèbres de French Azilum,
Talleyrand qui trouva sans doute lendroit trop rustique
pour un ancien évêque... Mais aussi, en 1795, le
duc de la Rochefoucauld-Liancourt, qui sétait accommodé,
lui, de la Révolution. Au cours de son séjour
à French Azilum (il en a laissé un très
intéressant compte-rendu), il put rencontrer ceux-là
qui navaient pas transigé, eux.
Le marquis de Blacons, par exemple, reconverti en partenariat
avec Colin de Sevigny, ancien archidiacre, dans la mercerie.
Ou " Bec-de-lièvre ", prêtre et, pour
survivre, boutiquier. Ou encore Beaulieu, ci-devant capitaine
dinfanterie, devenu aubergiste...
Il y avait encore Buzard, planteur et physicien, arrivé
de Saint-Domingue avec sa femme, ses enfants et ses esclaves.
Et le fils de feu Monsieur dAutremont, lun devenu
notaire, lautre horloger.
En 1796, les exilés reçurent la visite du futur
Louis-Philippe et de ses deux frères. Les princes séjournèrent
deux semaines à French Azilum. On soccupa à
les distraire par des pièces de théâtre
et des soirées dans " La Grande Maison ". Pour
loccasion, on ressortit culottes et souliers à
boucles, robes de soie et broderies, ce qui, on le constate
dans les témoignages de lépoque, fit grosse
impression sur les trappeurs du voisinage...
Pendant dix ans, French Azilum sefforça de survivre
à lenvironnement difficile. Et puis arrivèrent
de France des nouvelles que les exilées pouvaient revenir
sans risque et que Napoléon, ma foi... Alors, un par
un, ils commencèrent de quitter la petite ville. Seuls
saccrochèrent les Keating, les dAutremont,
les Brevost, les Lefèvre, les Laporte, les Homet. Bientôt,
certains sinstalleront à Towanda, Athens, Wyalusing,
Wilkes-Barres et, en 1803, il ne reste plus à French
Azilum que Bartholomé Laporte, Charles Homet et Antoine
Lefèvre.
Laporte et Homet rachetèrent les terres de ceux qui partaient.
Lefèvre traversa la rivière et installa une auberge.
Bartholomé Laporte épousa une jeune Anglaise et
leur fils, John qui deviendra John Laporte est
né dans " La Grande Maison ". En 1836, près
du site de " La Grande Maison ", qui avait été
détruite, John construira sa résidence. Elle existe
toujours.
Le fils de Charles Homet, Charles Jr, eut huit fils. Fermiers
et meuniers, ils sinstallèrent sur lautre
rive de la Susquehanna au lieu-dit aujourdhui " Homets
Ferry ".
Le nord de la Pennsylvanie a gardé de nombreuses traces
toponymiques de la colonie française. Outre French Azilum
et Homets Ferry, on trouve dans la région Frenchtown,
Laporte, Asylum Township, Coudersport, Keating, Roulette, Smethport,
Dushore...
Le 14 juin 1916, une pierre de Rob Wood Mountain sur laquelle
on fixa une plaque fut installée sur la place du marché
de French Azilum. La cérémonie dinauguration,
présidée à la Bradford Country Historical
Society, se déroula en présence de John W. Mix,
descendant dAntoine Lefèvre et de Charles dAutremont
Jr. La plaque fut dévoilée par Jane et Angelique
Spalding, toutes deux descendantes de Charles Lefèvre.
On pouvait y lire :
"Ce monument a été érigé pour
commémorer et perpétuer la mémoire et les
hauts faits des réfugiés royalistes français
qui avaient fui leur pays pour échapper aux horreurs
de la Révolution en France et à Saint-Domingue.
Ils sinstallèrent à cet endroit en 1793
et bâtirent la ville dAzilum sous les auspices du
vicomte de Noailles et du marquis Antoine Omer Talon. En 1796,
Louis Philippe, duc dOrléans, qui devint par la
suite roi de France, vint ici en visite. Le Prince de Talleyrand,
le duc de Montpensier, le duc de la Rochefoucauld de Liancourt
et de très nombreux et distingués Français
furent des visiteurs ou des résidents de passage à
Azilum. Erigé en 1916 par John W. Mix and Charles dAutremont
Jr, descendants des colons français, le terrain a été
offert par les héritiers LaPorte"
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Le
24 juin 1931, la Pennsylvania Historical Commission et la Bradford County
Historical Society inauguraient, de lautre côté de
la rivière et en présence de William Homet, descendant
de Charles Homet, et dEmily Kerrick, descendante de Bartholomé
Laporte, une nouvelle plaque commémorative :
" Asylum. Une colonie de Français royalistes qui fuyaient
la Révolution en 1793 fut établie dans la vallée
qui se trouve en face de ce monument. Cette colonie fut installée
sous la direction du vicomte de Noailles et du marquis Antoine Omer
Talon. Dans lespoir que la reine Marie-Antoinette pourrait y trouver
un abri sûr. "
On sait, hélas, ce quil advint des projets mis sur pied
pour délivrer la reine martyre.
Alain
Sanders
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