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Un meurtre à Bandera XIII. Calm On The Water |
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Ah, vous voilà... Alamo et moi on commençait à
se demander si on n'allait pas lancer un avis de recherche... – Vous savez bien que je reviens toujours. Comment pourrais-je imaginer une seule seconde ma vie sans vous... – … et Alamo, il miaule comme un perdu. – Et Alamo, c'est sûr... |
– Alamo boude dans un coin du salon. Disons, pour être clair, qu'il me fait la gueule. Mais je connais le remède. Mon fauteuil club, un verre de Jack Daniel's et une chanson country. Et il rappliquera se faire câliner, genre « Je te pardonne, mais faudrait pas exagérer ». Je glisse un CD de Dolly Parton et choisit un morceau que nous aimons tous les deux, Calm On the Water : There's
calm on the water, a hush in the crowd Et ça marche. Il arrive en roulant des mécaniques et se love dans mon giron. Je n'ai ni le temps de siroter mon whiskey ni celui de caresser Alamo. Le téléphone et, au bout du fil, Fred Fitzgerald qui appelle de San Antonio. – Tu es sur ton ordinateur ? – Non, mais j'y vais. Pourquoi ? – Je vais t'envoyer un joli portrait. – Un portrait ? – Yes sir ! Tu regardes ? J'allume ma bécane. Et je vois une photo, en effet. Celle d'une belle blonde que j'ai vue, mais raide comme un passe-lacet : Lorie Lawson. Sous la photo, un laïus en anglais et en espagnol. Une fiche de police. – Tu as eu ça où ? – J'ai mes sources. Lis le texte. Tu verras que la frangine de ta copine – pardon : de ta cliente – n'est pas vraiment blanc-bleu... Je lis. Le texte indique que Lorie est – était – en relation avec Badlands et sa bande. Pas pour un trafic de drogues, spécialité de ce rascal de Las Vegas mais, semble-t-il, dans un réseau de passeurs d'illégaux mexicains. C'est un rapport sans équivoque de la police des frontières. Avec des précisions qui ne laissent aucun doute. – Tu es sûr de tes sources ? – Ce ne serait pas toi qui me poserait la question, je serais vexé... C'est du sûr. A 100%. – Je te remercie. Je te rappelle très bientôt. Je suis circonspect et furieux. Mon premier réflexe, c'est d'appeler Caroline pour lui remonter les bretelles. Je ne peux pas croire qu'elle ne soit pas au courant des activités souterraines de sa sœur. Elle m'a bien dit que cette dernière avait eu de grosses rentrées d'argent, mais sans s’étendre vraiment sur la provenance de ce pactole. Mrs. Prather pointe son nez : – Je rentre chez moi. Je vous ai préparé de quoi vous nourrir décemment. Elle a retrouvé le sourire. Elle adore régenter mon quotidien et, malgré ses prétentions de me caser avec une « gentille fille », elle détesterait que je me range. – C'est gentil, mais je vais aller m'en jeter un au Cowboy's Bar. – Pour boire un peu trop et manger des chicken wings graisseuses et épicées... Si vous croyez que c'est un régime souhaitable, libre à vous... Pas sûr que vous me verrez demain... – Pas de promesses que vous êtes incapable de tenir. A demain. Elle n'est pas sortie depuis cinq minutes que Pete Holly débarque. Il vient aux nouvelles. Je lui en donne, racontant par le menu ma petite sauterie san-antonienne. – Tu aurais pu m'appeler, putain! Je m'emmerde dans ce bled... – La prochaine fois, promis... – D'accord. Qu'est-ce que tu dirais d'aller au Twin Elm ? C'est vendredi. Le Twin Elm Guest Ranch est, comme son nom l'indique, un dude ranch qui accueille des hôtes et leur fait découvrir des paysages superbes. La Medina River traverse les terres du ranch. C'est l'endroit le plus élevé de Bandera qui, outre son surnom de « Capitale mondiale des cowboys », en a bien d'autres dont Land of Pure Delights et Switzerland of Texas. Tous les vendredis soirs, en saison, un rodéo réunit les bullriders et les broncobusters des ranchs environnants, le Dixie Dude Ranch et le Mayan Ranch notamment. – Et si on allait plutôt s'arsouiller downtown ? – Si tu veux... J'adore Bandera à la nuit tombée. Sur Main Street, des daims peu farouches traversent la rue et s'en vont paître dans les jardins. Les premiers habitants de Bandera se sont vraiment installés là en 1852. Des Anglos, des Allemands, des Polonais. On eut même des Mormons de 1854 à 1856. Un jour, après de sérieuses embrouilles avec le reste de la population, ils ont mis les voiles. La population ? Des durs-à-cuire qui se frittèrent avec les Cornanches jusqu'en 1880, privant ces derniers des argiles rouges, blanches, jaunes et bleues qui servaient à leurs peintures de guerre. On a eu aussi quelques mauvais garçons. Comme Will Carver qui chevauchait avec Tom « Black Jack » Ketchum et le Wild Bunch. Au Nouveau-Mexique, dans les Cimarron Mountains, ils ont écumé les bureaux de poste, les diligences les trains et les stations de chemin de fer. Les Polonais étaient plus fréquentables. Ma maison est tout près de l'église catholique St. Stanislas construite à partir de 1855 et remaniée en 1876. C'est la seconde plus vieille église catholique polonaise des États-Unis après Panna Maria. Sur Main, nous tombons sur mon cousin, le shérif Mark Benson. – Tu venais me voir cousin ? – Yep. Qu'est-ce que tu as magouillé à San Antonio ? – Pourquoi ? – Parce que mes collègues de cette glorieuse cité m'ont demandé ton dossier... – Oh, ça... No te molesta, compadre ! Je leur ai déjà raconté ma vie en long en large et en travers. Avec d'autant plus d'alacrité qu'ils m'ont sorti des pattes d'un certain Frank Badlands. – C'est-à-dire le gus qui est venu te chercher des poux dans la tête jusqu'ici... – Exact. – Qu'est-ce que tu lui reproches ? – Eh bien, une peccadille... Le meurtre de Lorie, la sœur de ma cliente, Caroline Lawson. – Je ne sais pas trop où tu as mis les pieds, Ray. Mais fais gaffe. Ce n'est pas de la pègre locale, ça. C'est du lourd. Tu joues dans une autre division avec ces types. – Qu'ils y viennent, intervient Pete. On va leur parler du pays et les renvoyer chez les clowns... – Très bien, les rigolos. Mais je suis shérif d'une petite ville où, depuis les années 1880, on vit à peu près peinard. J'aimerai que ça continue. – Je peux te promettre une chose : on ira les alpaguer loin de ta juridiction. – Dieu vous entende... Nous remontons vers le Cowboy's Bar. Sammy est à son poste et, après une chaleureux Howdy, il nous apporte une Lone Star et des shots de tequila. Il n'y a pas d'orchestre ce soir. Aussi, après une seconde tournée, on redescend au Arkey Blue's Silver Dollar. Un honky tonk de légende. Quand on a descendu les marches genre « piste noire », on est saisi par la clim et les rythmes western swing d'Asleep at the Wheel. Mon portable sonne. Je remonte dans la rue pour capter l'appel. C'est Caroline. – Tu tombes bien, toi. J'allais t'appeler. – Du nouveau ? – On peut dire ça comme ça.... – Raconte. – Ce serait trop long. Je viens te voir demain. – Je meurs déjà d’impatience... – Eh bien justement, essaie de rester en vie... Alain
Sanders
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