Harlem, années 40

Ann Petry

La Rue

 

Dans leur précieuse collection « Vintage », les éditions Belfond continuent de remonter le temps en « exhumant » quelques trésors oubliés.

Le roman d'Ann Petry, La Rue, est paru aux USA en 1946. Il a été édité en France en 1948 (dans une traduction partielle de Ralph Soupault).

Ann Petry (1908-1977) est née dans le Connecticut. En 1938, elle s'installe à New York et, plus précisément, à Harlem dont elle deviendra vite une personnalité emblématique. Des articles, des nouvelles et, bientôt, un premier roman, La Rue. Un best-seller. Son unique best-seller car ses autres livres seront loin de connaître le même succès. Peut-être parce qu'elle avait mis dans cette œuvre très audacieuse pour l'époque tout ce qu'elle portait au plus profond d'elle-même.

Nous sommes dans le Harlem des années 40. Lutie Johnson, une jeune mère noire célibataire, se bat – se débat – pour élever son fils. Pour éviter que lui et elle glissent de la rue, où ce n'est déjà pas drôle, dans le caniveau. Si elle ne cèle rien des mauvaises manières de certains Blancs, le Nord yankee, grand donneur de leçons n'avait guère de sollicitude pour les « Nègres » (comme on disait alors), elle ne cache rien des tout aussi mauvaises manières de ses frères de couleur. Là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie. Et la couleur de peau n'y est pas pour grand chose.

Dans les années 40, il y avait à Harlem des zones plus ou moins fréquentables. Mais aussi beaucoup d'autres qui l'étaient encore moins. Comme la 116e Rue où Lutie loue un petit taudis dans un immeuble géré par un concierge black du genre obsédé sexuel. Pour une jeune femme seule, jolie, pour un gamin soumis à toutes les tentations de la rue, ce n'est pas vraiment l'idéal. En hiver, on crève de froid. En été, on crève de chaud. Et toute l'année on vit dans la peur, la crasse, la misère.

A l'époque, on a voulu faire de ce roman, qui tient beaucoup du récit, une dénonciation de l'injustice raciale. On a eu tort. Le New York des années 40 avait ses « Harlem » où d'autres pauvres, Irlandais et Italiens par exemple, n'étaient pas à la fête. C'est donc une dénonciation de l'injustice sociale plus que d'autre chose qu'il s'agit.

« La neige tombait. La rue était vide et silencieuse. Rien ne la distinguait plus des autres. La neige recouvrait tout – la saleté, la misère, la laideur », écrit Ann Petry. La neige recouvrait tout.Mais la neige était sale.

Comme la chèvre de M. Seguin, Lutie va se battre jusqu'au bout de ses forces. Mais, à la différence de M. Seguin, elle ne se laissera pas dévorer. Au terme d'une tragédie, dont je ne vous dirai rien, bien sûr, Lutie finira par mettre des centaines de kilomètres entre elle et la 116e Rue.

Alain Sanders

– Belfond, collection « Vintage »

 

 

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