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Vingt questions à Jeff Bridges (Crazy Heart, True Grit) |
— Jeff, vous avez la réputation d’être l’un des types les plus sympas de Hollywood, mais vous êtes aussi époustouflant quand vous jouez les « chieurs », comme le personnage de Rooster Cogburn dans True Grit ou celui de Bad Blake dans Crazy Heart. Est-ce que Jeff Bridges aurait une facette secrète rayon « chieur » — Non, je ne suis pas un « chieur ». Mais je peux néanmoins jouer les « chieurs », ça m’amuse. J’aime bien ce genre de rôles. — Pensez-vous que Rooster Cogburn se classe dans cette catégorie ? — Je ne pense pas qu’il se définirait ainsi, mais ouais, je pense que les gens peuvent voir |
en lui un sacré « chieur ». C’est un ours mal léché, un alcoolique qui traîne un paquet de gueules de bois. Cela peut faire de vous un « chieur ». — Comment vous êtes-vous préparé à ce rôle ? — J’ai pris comme référence le roman de Charles Portis et pas du tout le film de John Wayne. C’est la feuille de route que m’avaient donnée les frères Coen et je l’ai suivie. — Sachant que John Wayne avait reçu un Oscar pour ce rôle en 1969, ça a dû vous mettre la pression, non ? — Non, je fais juste du mieux que je peux. En fait, la première directive des frères Coen fut la suivante : « Nous ne faisons pas un remake du western de 1969, nous collons au livre de Charles Portis. » Donc aucune référence au film de John Wayne. J’ai lu le roman et j’ai compris ce que les frères Coen voulaient dire. C’est un livre merveilleux et bien dans les cordes de ce que font les frères Coen — Une partie du film a été tourné à Austin, une ville fantastique pour la musique. Vous avez donné des concerts pendant que vous y étiez ? — Ma fille Jessica a été mon assistante sur ce film, de telle sorte qu’elle ne m’a pas quitté. Elle joue de la guitare, elle chante, elle écrit, alors on a donné quelques concerts. On en a donné deux à Santa Fe aussi. Un de ces concerts a été un « spécial » Tarra Day, en charge du département maquillage, et qui était sur Crazy Heart. Elle a eu une attaque. Nous regroupons des fonds pour l’aider et l’un de nos concerts a été réservé à son intention. C’était cool. On s’est branché avec un groupe local et on a fait notre truc. |
— Comment c’était de travailler de nouveau avec les frères Coen ? — Les frères Coen font des films très spéciaux et même uniques. Ils sont étonnants. J’ai travaillé avec de très grands cinéastes et ils sont tous très différents. Regardez, par exemple, Scott Cooper pour Crazy Heart. C’était sa première expérience de réalisateur. Il n’avait même jamais réalisé une pièce de théâtre pour un lycée, jamais rien écrit, et il a fait ce film en 24 jours. Il distillait un tel enthousiasme, une telle flamme, qu’il nous les a communiqués à tous, et tout ça était genuine. Rien d’artificiel. |
Alors vous avez ce type de réalisateur et vous avez des réalisateurs plus « froids ». Genre les frères Coen. Avec eux, on n’allume pas de feux d’artifice, et il y a même quand on tourne une ambiance un peu froide , mais du meilleur aloi. A eux deux, ils font des miracles. Regardez ce qu’ils ont fait avec The Great Lebowski. Vous vous dites que ce sont des gens marrants, mais non, ils ne sont pas si marrants que ça. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas les sens de l’humour, mais ils ne sont pas du genre grosses rigolades. Ils sont agréables et ils aiment s’entourer de gens avec lesquels ils ont déjà travaillé souvent, ce qui crée une atmosphère familiale sur le plateau. Avec Scott Cooper, c’était différent. Il y a des façons différentes d’approcher le travail. Mais j’aime les deux approches. — Vous jouez un alcoolique dans Crazy Heart et encore un alcoolique dans True Grit. Comment vous êtes-vous débrouillé pour rester sain et clean pendant toutes ces années à Hollywood ? — Oh, j’ai eu quelques gueules de bois mémorables. Je crois que j’ai eu de la chance. J’ai vu comment les gens peuvent dériver et je sais que ça blesse à mort. On apprend cette leçon encore et encore, mais il y a des gens qui n’apprennent jamais cette leçon. Ils partent dans un mauvais trip, ce qui ne m’a jamais tenté. Reste que je pourrais avoir une meilleure hygiène de vie. J’ai beaucoup admiré mon père. Il était très attaché à la santé et l’une de nos principales discussions quand j’ai commencé à grandir tournait autour de l’habitude. Je lui disais : « Papa, chaque moment est un moment neuf. On doit vivre chaque instant comme s’il ne devait y en avoir aucun autre. » Il répondait : « Oui, c’est une jolie façon de voir, mais ce n’est pas comme ça que fonctionne la vie. Nous sommes des créatures d’habitude. Nous développons de bonnes habitudes ou de mauvaises. Tu dois vouloir développer les bonnes. » Aujourd’hui, des années plus tard, je vois bien ce qu’il voulait dire. — En quoi le fait de « méditer » chaque jour avant d’aller sur le plateau vous aide, plus spécialement quand il s’est agi de True Grit ? — C’est important pour moi de me poser tranquillement et de faire le point. Quand on est acteur, les pensées et les sentiments sont une part importante de votre travail. En méditant, vous prenez conscience de ce que vous avez dans l’esprit. Vous ressentez ce que vous avez en tête. Quand vous faites un film, il y a toutes ces terribles inquiétudes qui vous stressent : « Quel est ma place ? Vais-je savoir faire passer mon personnage ? Il faut que je fasse ça vraiment comme il faut. » On peut s’emmêler les neurones. La méditation vous permet de décompresser. Vous devenez plus ouvert à l’essentiel et, du fait que vous avez apaisé votre cerveau, vous pouvez sélectionner ce qui compte vraiment. Cela m’aide dans mon travail. — Comment les frères Coen travaillent-ils ensemble ? — Ils ont expliqué naguère que l’un d’entre eux voulait occuper le poste de producer et que ce soit vraiment l’un ou l’autre, histoire de ne laisser personne d’autre s’entremettre. Mais, d’après moi, ils écrivent, ils produisent et ils réalisent ensemble. Ethan va de long en large avec un stick à la main et je ne sais pas trop ce qu’il rumine. Joel, c’est l’aîné et je pense que c’est lui qui dit : « Action ! ». Et puis ils se pointent tous les deux et vous donnent des conseils, comme est supposé le faire tout réalisateur. Je me sens très à l’aise pour demander un avis à l’un comme à l’autre. Cela se passe en douceur et il n’y a jamais aucun accrochage entre eux. Ce qui est quand même assez étonnant. J’aime vraiment leurs films. — Ont-ils changé leur manière de réaliser au fil des années ? — Non, pas vraiment, non. Joel a coupé sa queue-de-cheval. Mais rien de plus… — Quand avez-vous lu pour la première fois le roman True Grit ? — Dès qu’on a parlé de l’adapter au cinéma. C’est toujours excitant de tourner un film tiré d’un livre parce que ledit livre comble tous les manques et les questions que vous pourriez avoir. — Vous êtes – aussi – un musicien. Qu’est-ce qu’il y a sur votre iPod ? — Je rentre d’une tournée avec Elton John, Leon Russell, John Mellecamp et Elvis Costello. T-Bone nous avait mijoté tout ça. Un moment merveilleux. Alors je dirais que les albums que Bone a faits avec Leon Russell et Elton John sont géants. Le dernier album d’Elvis est lui aussi excellent. J’aime bien aussi cet type, Benji Hughes et son pianiste, ils étaient de la tournée. Son band est tout simplement phénoménal. — Votre True Grit est-il plus violent que l’original ? — Probablement, oui. Et probablement plus sombre aussi. — Vous êtes à l’aise à cheval ? — J’adore ça. A chaque fois qu’on me propose un scénario qui stipule que j’aurai à monter, je suis heureux. J’ai un ranch, là-haut au Montana et il a fallu que j’enterre mon cheval, mais j’adore monter.. — Quel est le rôle le plus casse-gueule que vous ayez eu ? — Ils sont tous casse-gueule à leur façon. Crazy Heart était un vrai défi parce qu’il incluait de la musique et que la musique est une partie importante de ma vie. Je crois que le vrai challenge, c’est de se demander : tu vas être capable d’être juste dans ton jeu, est-ce que tu es en train de faire quelque chose qui te tient à cœur, est-ce que tu auras le cran – true grit – pour aller jusqu’au bout ? — Vous êtes marié depuis longtemps et c’est un mariage réussi. Quel est votre secret ? — Je ne sais pas. Ce sont les mystères de l’amour. Regardez ma femme (il sort une photo de son portefeuille) : elle est loin d’être laide, non ? — Etes-vous romantique ? — Yeah ! J’y crois, mais je ne suis pas vraiment top là-dessus. Je vois agir d’autres types et je me dis : « Comme j’aimerais pouvoir faire ça. » Mon frère, par exemple, il adore acheter des fringues à sa femme. Il l’habille presque comme une poupée Barbie. Ce n’est pas mon style. Mais j’aimerais bien être comme ça. — Qu’est-ce que vous faites pour votre femme ? — Je lui frotte le dos la nuit. Et c’est à peu près tout. Elle mérite beaucoup plus que ça. Cette photo d’elle que j’ai sur moi, c’est romantique, non ? Je devrais faire plus de trucs de ce genre. — Quel est le secret d’un long mariage ? — De ne pas divorcer. Vous voyez ce que je veux dire ? Dans tous les mariages, et a fortiori quand vous êtes marié depuis un bout de temps, vous passez par des moments difficiles. Quand vous êtes dans ces périodes de gros temps, vous tracez une ligne et si votre partenaire franchit la ligne, vous vous dites : « Bon, on en reste là ou vais-je devoir élargir un peu ma conception de l’amour et être capable de passer par-dessus tout ça ? » Vous ouvrez votre cœur et cela devient tellement parlant pour vous que vous vous dites que c’est trop précieux pour être perdu. La prochaine fois que vous êtes dans une telle situation, dites-vous : « Je ne peux pas gâcher ça. C’est trop merveilleux. » La vie nous teste sans arrêt. — Rencontrer votre femme, ça a été votre chance ? — Si je doutais qu’elle est la femme de ma vie, il me suffirait de penser à tout ce que nous avons vécu au cours de ces années. Je n’ai aucun doute : elle est ma leading lady.
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