Même s'il a commencé de « percer » avec Les Derniers Jours de nos pères, c'est avec La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert (2012), qui reçut le Grand Prix de Roman de l'Académie française, que Joël Dicker a littéralement « explosé ».

Suivra, avec une même réussite, Le Livre des Baltimore (2015) et, aujourd'hui, La Disparition de Stephanie Mailer. Et un même champ d'action, où Dicker est comme chez lui, la côte Est des États-Unis.

Nous sommes en 2014. Mais, pour comprendre les tenants et aboutissants de l'histoire, il faut revenir – et revenir sans cesse – à ce 30 juillet 1994. Ce jour-là, à Orphea, station balnéaire familiale des Hamptons dans l’État de New York, le maire de la ville, son épouse, leur fils et une joggeuse qui, apparemment, passait là au mauvais moment, ont été assassinés chez eux.

A l'époque, l'enquête a été confiée à deux jeunes policiers, Derek Scott et Jesse Rosenberg. Ils vont vite trouver un coupable évident, en être félicités et même décorés pour leur efficace diligence.

Revenons en 2014, vingt après comme dans un roman de Dumas. Une journaliste, Stephanie Mailer reprend l'enquête de 1994 pour découvrir qu'on s'est sans doute trompé de coupable. Parce qu'il fallait faire vite et rassurer les braves gens.

Elle fait part de ses découvertes à Jesse Rosenberg, sceptique et pas plus enchanté que ça d'être en quelque sorte mis devant une terrible erreur. D'ailleurs, personne ne la prend au sérieux. Jusqu'au jour où elle est assassinée.

Jesse Rosenberg et son pote Derek Scott, reconverti lui dans un boulot de gratte-papier dans les services de police de la ville, sont sommés par leur hiérarchie de reprendre l'enquête. Ils sont marqués à la culotte par le maire, Alan Gordon, qui craint que tout ce désordre vienne perturber le Festival de théâtre d'Orphea.

Résumée comme ça, l'histoire racontée par Joël Dicker a l'air simple. Elle ne l'est pas. Pourquoi Stephanie Mailer, journaliste précédemment de la très branchée Revue littéraire de New York, en a-t-elle été licenciée pour se retrouver employée dans une feuille de chou comme l'Orphea Chronicle ? Pourquoi tous les protagonistes de ce mystère semblent-ils avoir un cadavre dans leur placard ?

Suisse d'origine, Dicker a, nous l'avons dit, une connaissance intime de ces petites villes de la côte Est. Et de ceux qui y vivent. Il déploie là un tel fourmillement de characters que le livre est publié avec une liste des personnages, leur rôle et leurs fonctions. D'Anna Kanner, chef-adjoint de la police d'Orphea à Samuel Paladin, l'époux de Miaranda, la joggeuse tuée en 1994, en passant par Kirk Harvey, ancien chef de la police d'Orphea tombé dans une déprime hallucinée. Et encore Steven Bergdorf, rédacteur en chef de la Revue des lettres new-yorkaises, embarqué dans un commerce de lit à hauts risques avec Alice, une secrétaire aux dents longues. Et la famille Eden, Jerry, Cynthia, et leur fille Dakota (qui est surtout dans un état proche de Massachusetts...). Et Michael Bird, rédacteur en chef de l'Orphea Chronicle et sa femme Miranda porteur d'un lourd passé. Etc.

On parlait naguère de romans-fleuves. La Disparition de Stephanie Mailer est de cette veine, torrentiel, méandreux, imprévisible, impossible à canaliser...

Alain Sanders

– Editions de Fallois