Donna Tartt : Le Chardonneret

Un drôle d'oiseau...

 

Avant de vous parler plus précisément de ce roman – un chef-d’œuvre – de Donna Tartt (qui n’a publié que trois livres en vingt ans, mais quels livres !), un mot de ce chardonneret mis en majesté.

Le Chardonneret, c’est le nom d’un tableau, un trompe-l’œil, du peintre néerlandais Carel Fabritius (1622-1654) qui n’a été (re)découvert qu’au XIXe siècle grâce au critique d’art Théophile Thoré-Burger. Peintre de cour des princes d’Orange, il a peint des portraits, des scènes de genre, des tableaux historiques. Ce qui ajoute à sa légende, c’est qu’il ne nous reste que moins de vingt tableaux de cet artiste. Pour une raison simple et tragique : le 12 octobre 1654, alors qu’il œuvrait dans son atelier à Delft, la poudrière de la ville explosa. Il succombera à ses blessures et toutes ses toiles seront détruites par le feu.

Le Chardonneret, qui fut sauvé des flammes, lui, est une miniature : 34 cm sur 23. Et le roman de Donna Tartt est un monument : 800 pages. Un roman qui, comme en écho de l’explosion de Delft, s’ouvre sur un attentat à l’explosif.

Héros et narrateur de cette histoire, Theo Decker, 13 ans, visite le Metropolitan Museum of Art avec sa mère quand l’explosion se produit. Sa mère (et de nombreux visiteurs) est tuée. Theo, qui se trouvait dans une autre salle du musée, est indemne. Près de lui, un vieil homme qui va succomber à ses blessures, a juste assez de souffle pour lui demander de “sauver Le Chardonneret”. Il décroche le tableau et rentre chez lui, persuadé que sa mère a dû être évacuée et ne tardera pas à le rejoindre. Elle ne viendra évidemment pas…

Quatorze ans plus tard, on retrouve Theo. Dans une chambre d’hôtel d’Amsterdam où il vit confiné pour échapper à des margoulins de tous poils. Que s’est-il passé pendant ces quatorze années ? Quel rôle a joué – et joue encore – ce tableau que Theo n’a jamais pu se résoudre à rendre au musée ? Comment, avec qui, où, a-t-il vécu depuis la mort de sa mère ? On va bien sûr le découvrir au fil de pages incandescentes.

Le père de Theo étant introuvable, il va s’installer chez les Barbour, une riche famille new-yorkaise reconnaissante que ce garçon un peu low class ait protégé leur rejeton au collège.

On retrouve finalement le père qui décide de l’emmener vivre avec lui – et sa compagne pas piquée des hannetons – à Las Vegas, alias Sin City… Pour Theo, deux ans de dérive et une forte amitié qui se noue avec un jeune Ukrainien, Boris, qui l’initie notamment à quelques substances interdites et à la vodka. Mais nouveau coup du sort : le père de Theo meurt dans un accident. Et le voilà reparti, Le Chardonneret sous le bras, à New York. Il s’y associe à l’énigmatique Hobbie, restaurateur génial de meubles anciens. Jusqu’à l’arrivée de Theo, il a vendu ses meubles sans prétendre qu’ils eussent été autre chose que restaurés. A l’insu de Hobbie, Theo, lui, va les proposer et les vendre comme des pièces authentiques.

Pas question de vous en dire plus, car ce roman foisonnant (on pense au Dickens des Grandes Illusions, au Dostoïevski de L’Idiot, au Salinger de L’Attrape-cœur) tient aussi du polar. Avec des dizaines de personnages qui sont à eux seuls des romans dans le roman, des rebondissements sans nombre, des secrets que l’on nous distille au compte-goutte.

Theo est, comme le chardonneret peint par Fabritius, tout à la fois fragile et rude. Et comme lui – une patte de l’oiseau est retenue par une chaînette – lié à son destin : “C’est toute l’histoire du livre, explique Donna Tartt : la fuite, la captivité”.

De New York à Las Vegas et retour, des ruelles de Big Apple aux ruelles d’Amsterdam, nous sommes emportés dans un tourbillon. Déclenché par un extraordinaire écrivain sudiste : née à Greenwood, Mississippi, Donna Tartt vit en Virginie. Bon sang ne peut mentir !

Alain Sanders

- Plon.

 

 

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