Entre la Belle et la Bête, une hisoire d'eau...

Mrs Caliban

de Rachel Ingalls

 

En découvrant le livre très atypique de Rachel Ingalls, Mrs Caliban (Belfond), ne vous laissez pas prendre par son patronyme : elle n'a rien à voir, mais vraiment rien à voir, avec Laura Ingalls de La Petite Maison dans la prairie...

Auteur d'une dizaine de livres, Rachel Ingalls est une grande voix féminine – que d'aucuns veulent nous vendre comme une féministe, c'est dans l'air du temps... Son premier roman Theft, paru en 1970, annonçait une bonne nouvelle : un grand écrivain venait de naître.

La parution en France de Mrs Caliban, publié discrètement aux USA en 1982 (mais bientôt élu, en 1986, parmi les « 20 plus grands livres américains » depuis la Seconde Guerre mondiale), est une manière d'événement littéraire : jusque-là le public français n'avait pu lire d'elle qu'un roman publié chez Robert Laffont en 1988, Je vois un grand voyage.

Cette Mrs Caliban, Dorothy pour les intimes, est une sorte d'Emma Bovary yankee. Elle s'ennuie et ronge son frein. Et d'autant plus qu'elle sait que son mari, Fred, mou du genou à la maison, entretient un commerce de lit avec une jeune secrétaire.
Pour passer le temps,Dorothy écoute la radio. Sur un de ces postes qui ressemblaient à des cathédrales gothiques des années 1930. Une radio qui, depuis quelques semaines, diffuse, dans l’intervalle d'un programme lambda, des messages qui lui sont directement personnels. D'abord, elle se croit un brin dérangée. Et puis elle prend goût à cette bizarrerie.

Un jour, un communiqué, tout ce qu'il y a de plus réglo celui-là, annonce qu'une « créature », capturée en Amérique du Sud, baptisée le « Monstre Aquarius », s'est échappée de l'institut de recherches océanographiques où des scientifiques l'étudiaient. En s'échappant, Aquarius, doté d'une force incroyable, a tué deux de ses gardiens. Bref, prudence, dit et redit le speaker : « Si vous le voyez, prévenez aussitôt les forces de l'ordre. Je répète : ce monstre est dangereux ».

Je pense que vous devinez ce qui va se passer, non ? Aquarius se réfugie chez Dorothy qui le trouve épatant : « Une créature pareille à une grenouille géante de presque deux mètres joua des épaules pour entrer dans la maison, puis se planta devant elle, immobile, les jambes légèrement fléchies, et la regarda droit dans les yeux ». Ce n'est pas Gabin et Michèle Morgan dans Quai des brumes, mais bon...

Aquarius dit s'appeler Larry et n'être pas animé de mauvais sentiments contre ceux qui ne lui veulent pas de mal. Ce qui tombe bien, Dorothy, charmée de cette rupture dans son existence routinière, ne lui veut que du bien. Et bientôt plus car affinités.

A partir de là, il faut accepter d'entrer dans le conte, la fantaisie et la parabole. Avec ce message, pour le coup caricaturalement féministe de Rachel Ingalls : Dorothy, libérée, délivrée, etc., se révèle émotionnellement et sexuellement grâce à une sorte de gentil monstre... De la libération de la ménagère de moins de quarante ans via une aventure avec un gros lézard...

C'est un peu daté mais, après tout, Mrs Caliban est publié dans la (belle) collection Vintage de Belfond... On adhère ou on n'adhère pas, mais on ne reste pas indifférent à l''écriture et aux talents de narratrice de Rachel Ingalls.
King Kong, la Belle et la Bête, la princesse et son crapaud qui ne demande qu'à se transformer en prince charmant, Emma Bovary et son varan de Comodo... Bref, cinquante nuances de verts (batraciens). Une vraie curiosité.

Alain Sanders

 

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