Erskine Caldwell : Le Bâtard
Son of a bitch

 

En France, on connaît – au moins ceux qui lisent un peu – les grands romans d’Erskine Caldwell : Le Petit Arpent du Bon Dieu, La Route du tabac, Un p’tit gars de Géorgie. Pour Jenny toute nue, Miss Mamma Aimée, Nous les vivants, c’est déjà moins sûr. Quant à son premier roman, Le Bâtard, aujourd’hui republié par Belfond, ce sera une (re)découverte pour beaucoup de lecteurs férus de littérature américaine en général et de Caldwell en particulier.

The Bastard est paru initialement en 1929 chez Heron Press, avec des illustrations de Ty Mahon. Il fit quelque peu scandale à l’époque, au point d’être interdit de diffusion. L’année suivante paraissait La Route du tabac dont le succès sulfureux éclipsa Le Bâtard. A tort.

Postfacier français du Bâtard, Michel Fabre, en souligne l’importance :

- Mieux que tout autre de ses romans, Le Bâtard, propose cette conception (de l’animal humain dans sa condition existentielle) dans une nudité sans commentaires ni fioritures : à la différence du Petit Arpent du Bon Dieu et de La route du tabac, il ne contient aucune des perspectives salvatrices qu’esquisse le paganisme jubilatoire d’un Jeeter Lester ou d’une Griselda, pas plus que cette exaltation du dieu des Corps que propose Ty Ty Walden. Il ne flétrit pas « le honteux état de civilisation » des campagnes du Sud comme ces deux romans.

Pas de critique sociale non plus dans Le Bâtard : « Seulement un récit qui demeure au degré zéro de l’écriture rhétorique bien qu’il contienne déjà en germe la presque totalité des thèmes et des procédés de Caldwell ».

Un « bâtard », c’est d’abord un enfant dit « illégitime », à savoir qu’il ne connaît pas son père. Ce qui est le cas d’Eugene Morgan, 20 ans, le héros du roman, fils d’une prostituée. Mais c’est aussi une insulte : « Espèce de bâtard ! » Autrement dit un « salopard », un son of a bitch. Ce que semble être – aussi – Eugene Morgan qui a certes toutes les raisons du monde de n’être pas un gentil garçon… Et pourtant… Pourtant on vérifiera, à la fin du roman, qu’il est capable de s’ouvrir à l’amour et à la pitié.

Entre-temps, nous l’aurons suivi dans sa lente dérive entre Baltimore et Philadelphie. De ville en ville et de rencontres en rencontres. On peut même dire qu’on le suit à la trace tant il multiplie les mauvais coups.

On croise aussi quelques personnages qu’on n’aurait pas forcément envie de croiser. Comme Sook, patronne d’un bordel ; Jim, le shérif, qui a épousé Kitty, une jeune prostituée ; Froggy, le veilleur de nuit ; Myra qu’Eugene va prendre pour épouse ; etc. On navigue entre mélo et roman noir, façon Moisson rouge de Dashiell Hammet ou Petit César de W.R. Burnett. De sacrées références, non ?

A noter, pour être complet, que Le Bâtard a été adapté au cinéma, en 1982, par Bertrand Van Effenterre (avec Gérard Klein et Brigitte Fossey). Une adaptation dont on aurait pu se passer…


Alain Sanders

 

- Belfond collection Vintage

 
 

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