Jack London et l'appel de l'aventure

 

On a pu voir sur nos écrans la énième adaptation du roman de Jack London, L'Appel de la forêt (titre original : The Call of the Wild), avec Harrison Ford. Notamment après de belles versions de 1908 (de D.W. Griffith), de 1923 (produit par Hal Roach), de 1935 (de William A. Wellmann, avec Clark Gable, ma préférée), de 1972 (de Ken Donnakin, avec Charlton Heston), etc. C'est ainsi l'occasion de relire ce roman-culte (disponible dans de très nombreuses éditions).

Les inconditionnels de London s'accordent à dire que L'Appel de la forêt est, avec Croc-Blanc et le Loup des mers (et j'y ajouterai Martin Eden), l'un de ses tout meilleurs romans.

C'est un livre qu'on lisait vers 10, 11 ans, de mon temps. Je l'avais emprunté à la petite bibliothèque, entre un Mayne-Reid (l'auteur préféré de Rimbaud et de Jean Madiran) et un Captain Johns (les aventures de Biggles, pilote de la RAF), de la paroisse de Sainte-Anne de Salé, Maroc. Un choc. Parce que, gamins plus ou moins conformistes, nous allions dès lors rêver de répondre le plus vite possible à l'appel de la forêt (à celui de la jungle, c'était déjà fait grâce à Kipling...).

Dieu sait pourtant si le destin de Buck, chien domestique d'un confortable domaine californien, enlevé par des trafiquants de chiens de traîneaux sans scrupules, est tout sauf enviable.

Terrible cruauté des hommes, mais amitié fusionnelle (et plus que ça : de l'amour) avec John Thornton, nécessité de s'imposer, quitte à y laisser sa peau, aux autres chiens, survivre aux éléments, au Grand Nord, à la faim, au froid, à la peur. Rien ne sera épargné à Buck.

Le personnage principal du récit est un chien, bien sûr. Mais qui n'a pas senti, en lisant ces aventures palpitantes, que Jack London nous donne aussi à réfléchir sur nous-mêmes ? Installés dans des vies douillettes, serions-nous capables, comme Buck, de nous dépasser, de résister à la loi des crocs et des gourdins, de retrouver dans les tréfonds de nos êtres, l'homme originel... Une allégorie L'Appel de la forêt ? Sans aucun doute.
Est-il besoin de préciser aussi que London a décrit en Buck beaucoup de lui-même ? Le grand écrivain Sinclair Lewis (Main Street, Babbitt, etc.) ne manqua pas de relever cette évidence : « Comme Jack London, Buck est poussé vers la fortune à coups de gourdin ».

Outre Nietzsche et Edgar Poe, il faut évoquer un autre des grands inspirateurs de London : Rudyard Kipling : « Kipling a glorifié l'homme d'action – opposé au rêveur –, l'homme qui agit, insensible au chant oiseux des jours vides, mais qui va de l'avant et abat de la besogne, le dos courbé, le front en sueur et les mains calleuses ».

 

Cet homme d'action que London voulut être et qu'il fut en partie.

Pour l'anecdote – encore que... –, on rappellera qu'il avait d'abord envisagé de donner comme titre à son livre Wolf (« Le Loup ») ou The Sleeping Wolf (« Le Loup qui sommeille »). Car l'appel de la forêt, pour Buck, c'est finalement, l'appel du loup. Pour Buck et pour London (et pour tous les hommes qui chérissent la liberté libre). A partir de 1903, lui dont l'ex-libris représentait une tête de loup, lui qui avait un chien de traîneau nommé « Loup brun », lui qui baptisera Wolf House la maison qu'il avait fait construire, il signera « Wolf » les lettres envoyées à ses proches.

On tombera d'accord avec le poète américain Carl Sandburg (1878-1967, nous en parlerons un jour) qui a écrit : « L'Appel de la forêt est la meilleure histoire de chiens jamais écrite. C'est en même temps une étude de l'une des forces les plus curieuses et les plus profondes qui jouent à cache-cache dans l'âme humaine ».

Dans son enfance et son adolescence, Jack London avait appris – et de la manière rude – que la vie n'est pas une vallée de lait et de miel. Et encore moins quand ces vallées sont perdues dans les sauvageries de l'Alaska, du Yukon, du Klondike où Buck régnera à jamais sur la meute...

Alain Sanders

 

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